Le séminaire Maghtech du mardi 28 mars 2017

l’Action Extérieure des Collectivités Territoriales et le développement territorial durable

Ornela AMON[1]

Doctorante en 2e année en Economie du développement au Clersé UMR 8019 CNRS – Université de Lille1

 

Résumé

(Document de Présentation au séminaire Maghtech le Mardi 28/03/2017)

Problématique : L’AECT peut –elle favoriser le développement territorial durable ? Cas des actions de coopérations menées entre la France et les territoires de l’Afrique de l’Ouest[2].

Présentation de la problématique :

L’Action Extérieure des Collectivités Territoriales (AECT) est un instrument de politique publique qui consiste pour deux ou plusieurs collectivités territoriales étrangères de pays, à mettre en place une coopération de long terme leur permettant dans le temps de se rapprocher, de réaliser ensemble des projets pour répondre aux besoins de leur territoire et de capitaliser l’expérience qui en ressort.

La finalité pour les collectivités territoriales est de favoriser le développement de leur territoire. Pour ce faire, les acteurs territoriaux mènent d’abord des actions et politiques internes pour répondre d’eux-mêmes aux besoins de leur population et pour l’amélioration de la qualité de leur service public. L’AECT, à la fois instrument public mais aussi international se positionne donc comme un atout, un supplément devant aider chacun des acteurs territoriaux à mieux servir leur population et faire rayonner leur territoire.

Cependant, l’AECT dans son contexte actuel, est traversée par plusieurs mutations conjoncturelles et structurelles qui font se demander si toutes ses composantes sont favorables à la réalisation du développement territorial « durable ».

En effet depuis les années 1945 pour l’AECT, 1990 pour le développement territorial, et 1972 à la conférence de Stockholm3 pour le développement durable plusieurs changements sont survenus au point de transformer chacune de ces notions.

L’AECT regroupe depuis 2014, 3 composantes : la coopération décentralisée (CD), la coopération économique décentralisée (CED) et la coopération humanitaire et d’urgence décentralisée. En 1945, le « jumelage » préfigurait ce que l’on appelle aujourd’hui l’AECT.

Plusieurs explications conduisent à percevoir comment de jumelage, l’on est conduit à utiliser le terme d’AECT à présent. Mais au fil de toutes ces transformations l’un des grands enjeux de la compréhension des mutations au sein de l’AECT se situe au niveau de deux  composantes : la coopération décentralisée (CD) et la coopération économique décentralisée

(CED).

Pour donner une définition simple, la coopération décentralisée désigne l’ensemble des actions, projets et partenariats mis en place par les collectivités territoriales sur des motivations de solidarité, des motivations culturelles et sociales dans le but d’aboutir au développement du territoire.

La coopération économique décentralisée qui se base aussi sur un modèle partenarial, pourrait consister pour les collectivités territoriales à faire intervenir des leviers marchands, dans la relation de coopération afin que celle-ci puisse produire des gains et intérêts économiques.

La coopération économique décentralisée vise aussi le développement du territoire, mais par le biais des éventuels gains économiques qui sont attendus de la relation de coopération. Les collectivités territoriales incluent les acteurs du secteur privé et marchand du territoire comme les PME, PMI, dans leurs programmes de coopération afin que les projets mis en place puissent leur apporter un retour sur investissement.

Or, la logique en coopération décentralisée est tout autre et sollicite principalement les associations, les acteurs de la société civile comme les ONG pour impulser le renforcement des liens entre les territoires, pour favoriser la découverte de d’autres cultures ainsi que leur valorisation et pour inciter à des mouvements de solidarité et d’entraide entre les territoires, entre les populations.

Ces deux définitions, qui se veulent simples et directes montrent d’emblée le clivage qu’il peut y avoir entre CD et CED. Dans la réalité qui est complexe, une distinction entre un projet de coopération décentralisée et un autre de coopération économique décentralisée peut être délicate dans la mesure où le partenariat ou le projet peut contenir à la fois la recherche de gain marchand et une dimension de solidarité5. Mais au-delà de la clarification qu’il y a lieu de faire entre coopération décentralisée et coopération économique décentralisée, deux logiques semblent renouveler un affront : la solidarité et le marché. Pour le dire autrement, l’émergence depuis 2010 d’une coopération économique décentralisée (CED) face à une coopération décentralisée (CD) existante depuis 1992 ne remet –telle pas en cause la capacité des logiques sociales et/ou marchandes à conduire au développement territorial ?

Pourquoi alors qu’une coopération décentralisée à résonnance sociale existe déjà, les acteurs territoriaux présentent-ils le besoin soit d’un élargissement, soit d’une rupture pour une autre forme de coopération axée sur de la rentabilité économique ?

Pour aboutir au développement du territoire, faut-il des leviers sociaux, ou des leviers marchands ? Ou faudrait-il tout simplement combiner ces deux leviers, mais à quel degré et pour quels impacts dans le contexte d’une coopération ? Quelle place occupe aujourd'hui la CD dans l'AECT et quel lien garde-t-elle avec la CED ?

Le basculement de la CD à la CED est à examiner de près. L’une des raisons de la dominance du discours économique dans la relation de la coopération se fait au nom de la réciprocité et de la présentation du secteur marchand, comme étant celui portant et parfois même créant la croissance pour ainsi favoriser le développement. Les besoins des populations qu’ils proviennent du Nord ou du Sud sont clairs bien que différents dans le contenu. Les besoins sont d’ordre social, environnemental, économique, culturel. Doit-on pour répondre à des besoins économiques utiliser une action économique ? N’y a-t- il que l’approche économique qui puisse conduire à la satisfaction des besoins ? Doit-on pour des besoins culturels ou sociaux utiliser une approche économique ? Dans l’autre sens, est-il insuffisant d’utiliser les autres approches (environnementale, sociale, culturelle) pour favoriser le développement du territoire ? Quelles justifications, limites, et risques peut-il y avoir dans l’inclusion de la sphère marchande dans l’AECT ?

Plus profondément, l’AECT7 peut-elle favoriser le développement territorial durable ?

Et sous laquelle de ses formes ? Telle est notre problématique.

Les concepts clés et leurs relations

La notion de développement territorial, finalité de l’AECT, n’est également pas restée sans mouvement depuis 1990. À la notion de développement tout court, s’est ajouté le développement durable. Dans la relation de coopération Nord-Sud qui nous intéresse dans le cadre de cette réflexion, il se pourrait que l’institutionnalisation de l’AECT soit plurielle, parce que connotée à chaque territoire. Certes, les collectivités territoriales en France sont des pionnières de l’AECT, mais la mise en place de cet instrument public s’attache aussi à d’autres réalités que celles françaises, sur des territoires comme ceux de l’Afrique de l’Ouest et notamment le cas du Sénégal sur lequel nous nous pencherons.

Le développement territorial, le développement durable, les zones de coopération France-Afrique de l’Ouest sont donc des notions importantes qui gravitent autour de l’AECT dans la construction de notre étude.

Le développement territorial se trouve selon les géographes BAUDELLE, GUY et MERENNE-SCHOUMAKER (2011)8 à la rencontre du développement local et de l’aménagement du territoire. Pour ces auteurs, il n’existe pas de définition toute-faite du développement territorial. Cependant, une approche par la finalité de l’objet peut permettre de se saisir de sa signification. Ainsi, ces auteurs nous proposent cette définition : « L’objectif majeur du développement territorial est de rendre les territoires attractifs et compétitifs, de leur donner une chance dans la compétition internationale, par la valorisation des ressources territoriales, grâce au rôle majeur des acteurs de ces territoires, en combinant des préoccupations économiques, sociales, environnementales et en intervenant sur des structures spatiales. »

Le développement territorial a émergé dans un contexte où de nouvelles attentes étaient formulées à l’endroit du mode de vie et des activités humaines. Ces nouvelles attentes qui se sont traduites plus tard par le concept global de développement durable ont été le reflet d’un modèle de développement au sein duquel, l’économie doit être au service des deux autres piliers que sont le social et l’environnement. Comment disposer d’un développement territorial durable ?

En plus d’aménagement du territoire, de développement local qui prône la valorisation des ressources et acteurs locaux, le développement territorial devra respecter des conditions pour être qualifié de durable.

Ces conditions sont, entre autres, centrées autour :

- D’une activité favorisant une croissance économique pour toutes les générations

- D’une croissance économique qui assure une répartition équitable des richesses et qui valorise le rapprochement des peuples

- D’une croissance économique qui soit protectrice de l’environnement.

En un mot, le développement territorial durable doit être viable, vivable, et équitable. Les Nations Unies qui défendent aussi le développement durable et qui pensent que la proximité des collectivités territoriales d’avec leur population, fait d’elles d’excellents acteurs de mise en place de durabilité, préconise qu’une action de développement doit être inclusive, résiliente et ne doit laisser personne de côté.

Questions sous-jacentes

Rappelons notre problématique : l’Action Extérieure des Collectivités Territoriales (AECT) peut-elle participer à l’essor d’un tel modèle de développement durable sur les territoires en coopération ? Sachant que les mutations dont fait preuve l’AECT avec la CED auraient tendance à aller dans le sens contraire. Avec l’émergence de la CED, l'observation d'un déplacement du pilier social vers le pilier économique marchand ne serait pas erronée. Cette orientation peut paraitre ambiguë au développement territorial durable, dans la mesure où, l’objectif du développement territorial durable serait plutôt de réguler le marché vers le bienêtre social dans un environnement sain. Comment donc, la Coopération décentralisée, la coopération économique décentralisée peuvent-elles parvenir à améliorer les conditions de vie des populations sur les territoires en coopération ?

Pour répondre à cette problématique, nous émettons trois questions sous-jacentes (hypothèses). Une sur la CD, une autre sur la CED, et une sur la notion de partenariat qui commence à être une idée de plus en plus répandue et qui s’énonce ainsi : le partenariat serait un facteur de réussite à la réalisation de projets ou programmes de développement durable9.

QS1 : La coopération décentralisée, (la composante sociale de l’AECT) est

favorable à la réalisation du développement territorial durable

La coopération décentralisée a pour but de donner les outils de bases, de fournir et d’aider les collectivités territoriales en ressources afin qu’elles soient suffisamment aptes à répondre de manière pérenne aux besoins de leurs populations.

QS2 : Il y a une convergence de paradigme autour de la coopération pour le développement : le partenariat.

Les partenariats semblent être devenus une notion clé et sont perçus comme un moyen de mise en oeuvre efficace du développement. Les approches bottom-up et les approches top down du développement pourraient avoir des points d’intersection, mais il y a plusieurs risques de rapport de force : entre échelons local, national et international, entre secteurs marchand et non-marchand, entre acteurs privés et acteurs publics.

QS3 : La notion de partenariat présente aussi un risque en termes de marchandisation. Les effets négatifs que peuvent dégager la CED pourraient être des freins à un développement territorial durable.

Les effets pervers du marché, l’absence de régulation de la CED par les collectivités territoriales, les difficultés à rentrer en partenariat ou à en obtenir peuvent engendrer des conséquences négatives sur le plan social et environnemental au sein des territoires.

Terrain et démarche méthodologique

Notre terrain d’analyse étant spécifiquement celui de la coopération entre la France et le Sénégal10, la coopération France- Afrique de l’Ouest nous servant de territoire d’analyse générale, l’objectif de notre investigation serait comme le montre les questions sous-jacentes de comprendre les mécanismes de la CD, de la CED et de montrer leur apport au sein des collectivités territoriales sénégalaises. Cette analyse de l’apport des deux formes de coopérations se fera par le biais d’enquêtes qualitatives afin d’approcher les professionnels et techniciens de l’AECT, se fera aussi par l’analyse des projets et programmes de coopérations liant les acteurs territoriaux pour déboucher vers la construction d’indicateurs permettant de mesurer, ou d’apprécier le rôle ou le risque de chacune des formes de coopération pour le développement territorial durable.

Mots clés : Action Extérieure des Collectivités Territoriales (AECT), Coopération, Décentralisée (CD), Coopération Économique Décentralisée (CED), développement territorial durable.

 Télécharger ici



[1] Doctorante en 2e année en Économie du développement au Clersé, ayant pour directeur de thèse Monsieur Bruno BOIDIN.

[2] 2 L’espace ‘France-Afrique de l’Ouest’ nous permettra de connaitre les phases d’institutionnalisation de l’AECT au sein de cette région. Le Sénégal, un des pays de l’Afrique de l’Ouest est précisément choisi pour l’analyse empirique des projets de coopération.